vendredi 19 septembre 2014

69. Se pencher en avant en courant : une histoire de poule et d'oeuf ?

Ceux qui s'intéressent à la foulée médio-pied ou avant-pied ont certainement entendu le conseil consistant à se pencher en avant : cette prise de pente devant partir des chevilles et non pas du bassin: le fameux "lean forward" (voir illustration).

source: http://www.drnicksrunningblog.com/treating-running-injuries-form-vs-footwear/


A ma connaissance, ce conseil a deux origines tout à fait différentes :
- l'argument selon lequel la gravité serait le moteur principal de la foulée du coureur;
- la constatation visuelle que les meilleurs coureurs semblent en effet se pencher en avant lorsqu'ils courent.

L'utilisation de la force de gravité comme moteur principal de la foulée (telle que préconisée par certaine méthode, ex: Pose) est l'objet de beaucoup de critiques. Il existe un certain nombre d'articles scientifiques qui démontrent le contraire. Le fondateur de la méthode Pose aurait lui-même reconnu en 2009 que la gravité ne jouait pas un rôle si important dans sa méthode (voir: http://canute1.wordpress.com/2010/02/14/problems-with-pose/). D'ailleurs, si la gravité était si fondamentale dans la foulée médio-pied, alors le coureur devrait ralentir énormément dès que la pente s'élève même un tout petit peu. Or, il n'en est rien. Je dirai même que la foulée médio-pied est particulièrement performante en montée, beaucoup plus que l'attaque talon.

S'agissant de l'observation des meilleurs coureurs, on peut se poser de la question de savoir si le fait qu'ils se penchent en avant est un facteur de vitesse ou si ce n'est pas plutôt la conséquence de la forme de leur foulée à haute vitesse (et en particulier de leur poulaine).
Si on observe d'excellents coureurs à basse ou moyenne vitesse, avec une très bonne technique médio-pied, il n'est franchement pas évident qu'ils essaient de se pencher en avant. J'ai étudié dans le détail la foulée d'Anton Krupicka courant à une allure modérée et à aucun moment on ne perçoit cette recherche de pente vers l'avant (voir photo). Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples (Craig Alexander, Mirinda Carfrae, Andreas Ralaert....).

Si on essaie d'analyser les choses, on arrive à la conclusion que l'explication de cette pente vient de la poulaine que développent les coureurs rapides et en particulier de la manière dont ils recherchent l'amplitude en synchronisant, d'une manière très précise, la poussée de leur jambe arrière avec le positionnement de leur jambe avant (et en particulier du tibia). 

C'est avant tout parce qu'ils adoptent une certaine poulaine qu'ils doivent se pencher en avant et ce n'est pas l'inverse.

Voici l'explication en image et j'ai choisi pour cela l'image d'un coureur qui se penche vraiment beaucoup vers l'avant.

source : http://paleophil.com/2013/11/20/geometrie-de-la-course-a-pied-un-peu-de-trigonometrie/
Sur cette photo, on constate la synchronisation que je viens de décrire durant la phase d'envol entre la cuisse arrière et le tibia avant : à un instant durant le cycle de foulée, pour tous ces coureurs à l'excellente foulée, le tibia avant se retrouve parallèle  (ou quasiment) à leur jambe arrière au moment où elle est en extension. Cette position apparaît clairement sur les lignes vertes que j'ai tracées sur sa cuisse arrière, sa cuisse avant et son tibia avant. Toutes ces lignes sont quasiment à angle droit. Cette posture, particulière et symétrique, est typique des coureurs d'endurance les plus rapides .


Si on mesure, on peut constater approximativement que :
- l'angle que forme le buste avec la cuisse arrière est d'environ 25° (C'est l'angle d'extension de sa hanche);
- l'angle que forme la cuisse avant et la cuisse arrière est lui d'environ 99°.

Maintenant si ce coureur avait le buste droit (ligne rouge), l'ouverture de sa hanche ne serait plus de 25° mais de 40° (!), ce qui serait extrême et pas tenable. 

S'il voulait garder le même angle (25°) avec un buste droit et le même angle entre ses deux cuisses (99°), sa cuisse avant devrait alors se placer sur la ligne tracée en bleu : cela l'obligerait à lever sa cuisse très haut, ce qu'un athlète peut éventuellement tenir en sprint mais certainement pas en endurance; une telle levée de genou rendrait sa foulée absolument pas économique.

On voit donc que le coureur est obligé de se pencher en avant pour pouvoir respecter ce parallélisme (ou quasiment) entre sa jambe arrière en extension et son tibia avant. 


En conséquence, dès que l'amplitude de la foulée est moindre et que l'angle d'ouverture de sa hanche est plus réduit, son buste peut parfaitement être beaucoup plus proche de la verticale (ce qu'on peut constater de visu en observant les bons coureurs médio-pied à allure moyenne).

En conclusion:
- il ne faut pas se préoccuper de se pencher en avant mais beaucoup plus du trajet de son pied (de sa poulaine);
- se pencher en avant à partir d'une certaine recherche d'amplitude devient très intéressant voire même absolument nécessaire pour avoir le meilleur compromis entre l'envol et l'économie de course;
- j'invite les coureurs à rechercher ce parallélisme cuisse arrière/tibia avant quand ils cherchent à gagner en amplitude en courant médio-pied.

Ces conseils s'adressent plutôt aux coureurs confirmés en médio-pied. 

Bonnes foulées !

S. Séhel
Auteur de "Courir léger - Light Feet Running" et "Le Guide du Crawl Moderne"