jeudi 27 octobre 2011

24.Kilian Jornet: l'économie faite foulée ?

Voici une vidéo de Kilian Jornet prise durant le dernier mile d'une course de 165kms qu'il a gagnée en juin dernier: la 2011 "Western States Endurance 100 Mile".


La vidéo est intéressante à plusieurs titres:
- elle montre la technique de Jornet après 163kms d'effort, autant dire en état d'épuisement avancé, même pour lui j'imagine;
- Grégory Vollet (voir les commentaires de ce post) l'accompagne tout au long de la vidéo en courant à ses côtés à exactement la même allure, ce qui permet une certaine comparaison des styles de course. En plus, ce coureur n'étant pas un concurrent de la course, il ne souffre évidemment pas du même degré de fatigue physique que Kilian. On remarque sur les photos que Grégory Vollet court avec une perche dans les mains, les épaules presque immobiles pour maintenir la perche en position, ce qui altère sa foulée (et explique une partie de mes commentaires à son sujet dans ce post). 

On peut isoler plus points illustrant l'économie de la foulée de Kilian:

A) l'attaque du pied au sol:

A première vue, les deux coureurs attaquent du talon. Mais en y regardant de plus près, on peut observer quelques différences fondamentales qui démontrent la supériorité technique de la foulée de Kilian par rapport à celle de l'autre coureur.

L'attaque du pied de Kilian est très légèrement sur le talon mais il passe très vite sur une pose plein pied.


Vollet lui attaque le sol avec la jambe tendue et surtout le pied à 90° par rapport au sol. Cette manière de faire est très habituelle chez beaucoup de (mauvais) coureurs; elle pose deux problèmes: le coureur doit redresser son pied (ce qui sollicite les muscles placés sur le devant du fémur); il en résulte un effort inutile et une sursollicitation de ces muscles qui compte tenu du nombre de foulées réalisées sur une telle course de 165kms peut franchement être dommageable pour le coureur. Par ailleurs, la jambe ainsi tendue couplée à ce pied à 90° fait que la force de d'impact du talon va vraiment se propager par onde de choc tout au travers de la jambe et seul l'amorti de la chaussure va pouvoir l'atténuer réellement. Là encore, sur longue distance, c'est désastreux.



Kilian, au contraire, a le pied beaucoup plus parallèle au sol au moment de l'impact. Cela lui évite la sur-sollicitation des muscles placés à l'avant du fémur et cela lui permet de limiter la force d'impact en faisant en sorte que son pied passe très rapidement de l'attaque talon à la position horizontale sur le sol. 



Autre point: la jambe de Kilian est légèrement pliée au moment de l'impact; elle va donc pouvoir servir d'amortisseur d'une manière beaucoup plus efficace que si elle était plus tendue à ce moment là comme pour le coureur inconnu.



2) la pose du pied

Exactement dans le même esprit que la phase précédente, Kilian semble avoir un léger "overstriding": l'overstriding est le fait pour le coureur d'aller chercher l'impact au sol devant l'aplomb de son genou . C'est couramment identifié comme étant une source possible de blessures pour les coureurs.

En fait, il faut certainement temporiser cette affirmation. En effet, lorsqu'on observe la foulée de Kilian, on s'aperçoit que l'overstriding est très réduit: le pied est tout à fait dans une phase de déplacement de l'avant vers l'arrière au moment du contact au sol. Et le point d'impact est finalement assez proche du centre de gravité du coureur.





Vollet a un overstriding plus marqué et son point d'appui au sol est plus éloigné de son centre de gravité que dans le cas de Kilian ; le fait qu'il tienne cette perche contraint probablement sa foulée à cet instant.


3) le positionnement global du coureur:

Les deux coureurs ont un angle d'ouverture de jambes assez proche. Il est remarquable de noter le très bon alignement du corps de Kilian, légèrement penché vers l'avant, lors de la phase de levée du genou. C'est remarquable surtout à un stade si avancé d'une course si longue compte tenu de toute la fatigue accumulée.



4) le rôle des épaules et du bassin:

Kilian utilise beaucoup la translation des épaules: sa ligne d'épaule ne reste pas fixe, bien au contraire. On voit comment il amène alternativement ses épaules vers l'avant et vers l'arrière alors que les bras jouent un rôle réduit. A ce titre, on voit que ses mains restent presque à la même hauteur, ce qui tend à confirmer qu'il sollicite peu ses jambes car il y a une corrélation entre le mouvement de balancier des bras sur un plan vertical et la sollicitation des jambes. C'est d'ailleurs une caractéristique de la technique en sprint où les bras sont extrêmement sollicités en symbiose avec la puissance des jambes. Sur des épreuves d'endurance et évidemment d'ultra-endurance, c'est évidemment différent et on peut observer chez beaucoup des meilleurs coureurs d'endurance et d'ultra et de triathlon longue distance (Krupicka, Craig Alexander ou Chrissie Wellington), cette manière de garder les mains sur presque le même plan horizontal tout en bougeant beaucoup la ligne des épaules en translation horizontale. J'en reparlerai certainement sur ce blog. Pour moi, c'est l'indicateur d'un type de course à pied moins sollicitant pour les jambes et utilisant plus la chaîne supérieure (bassin/abdos/tronc) comme moteur. Ceci confirme aussi que beaucoup des analyses techniques de la course à pied valables pour certaines allures (sprint ou demi-fond par exemple) perdent de leur pertinence dans les épreuves d'endurance ou d'ultra. 


mardi 18 octobre 2011

Sprint: la spirale du poignet (Tyson Gay)

Une fois n'est pas coutume: parlons de sprint.

Tyson Gay a battu le champion du 100m Usain Bolts à Stockholm, le 6 aout 2010. Cela faisait 2 ans que Usain Bolt n’avait pas perdu. Tyson Gay s’impose en 9″84.

Ce qui a frappé certains observateurs, c'est la manière dont Tyson Gay faisait bouger ses poignets durant la course.  La bonne vieille école du sprint a toujours inculqué aux sprinteurs de courir avec les poignets fixes, la paume des mains parallèle au flanc du coureur durant tout le cycle de bras. C'est d'ailleurs la manière que suit la quasi-totalité des sprinteurs dont Lemaître par exemple (voir photos ci-dessous).






Gay et Bolt ne suivent pas ce dogme et ont les poignets plus mobiles comme on peut le voir sur les clichés suivants (avec un zoom sur la position du poignet en fin de course) : surtout s'agissant de Gay, sa main est parallèle au buste au début du mouvement puis le poignet tourne vers l'intérieur (pronation) de sorte que sa paume se retrouve face au plot de départ en fin de course.








Ce geste est parfaitement volontaire et travaillé de la part de Gay (je ne sais pas pour Bolt). D'ailleurs, il reconnaît qu'il réalise mieux ce geste du côté droit que du côté gauche. Pour Bolt, c'est l'inverse. Il a tendance à tourner son poignet gauche et maintenir le poignet plus dans l'axe.  

L'explication ? A ma connaissance, elle reste imprécise et pas fondée scientifiquement. Gay dit que cela l'aide à courir plus relâché. Celui qui lui aurait soufflé l'idée serait David Weck, un "inventeur" américain passionné de fitness qui croit aux vertus des mouvement en spirale. La torsion du poignet et du bras aurait un impact sur la foulée, le contact au sol et l'engagement de certains muscles; surtout son influence serait liée au rôle du "fascia" dans les mouvements du corps. Le "fascia" est cette enveloppe composée de collagène qui recouvre nos muscles. Son importance a été mis en lumière dans les mouvements de la colonne vertébrale notamment, par plusieurs travaux scientifiques.

Lemaître devrait peut être l'essayer...

Bonne course!


NB: pour avoir tester ce truc, une explication plus prosaïque pourrait être que cela aide simplement le coureur à optimiser sa translation horizontale en réduisant ses oscillations verticales. Grâce à ce geste en fin de mouvement, le coureur pourrait se propulser plus vers l'avant et moins vers le haut d'où peut être un gain de vitesse horizontale. 



jeudi 13 octobre 2011

dimanche 2 octobre 2011

Are Barefoot Shoes Really Better? (source NY times)

Le résultat d'une étude menée sur un groupe de femmes à qui on a demandé de courir 3 fois par semaine 20 minutes en Vibram.

Conclusion: toutes les coureuses avaient une attaque du talon au début d'étude; à la fin de l'étude, la moitié continuait de courir avec une attaque par le talon et l'autre moitié avait modifié leur foulée vers une attaque plus à l'avant du pied.

Source: http://well.blogs.nytimes.com/2011/09/30/are-barefoot-shoes-really-better/?ref=health

Are Barefoot Shoes Really Better?

Jodi Hilton for The New York Times
Barefoot running may be trendy, but for scores of runners who train on urban streets or rocky trails, running without foot cover isn’t an option. As a result, many runners have switched to minimalist sports shoes that add a thin layer of protection without detracting from the feeling of running barefoot.
But do minimalist running shoes really reduce wear and tear on a runner’s body?
The American Council on Exercise, a nonprofit group that reports on fitness, recently sponsored a small study to learn more about the popular footwear. Researchers from the University of Wisconsin, La Crosse, asked 16 women, all healthy recreational joggers ages 19 to 25, to spend two weeks getting used to running in the Vibram FiveFingers, a snug, glovelike shoe that weighs less than five ounces. The women were advised to use the shoes, the best-selling brand of barefoot sports shoes, three times a week for up to 20 minutes a day.
Tony Post of Vibram North America.Jodi Hilton for The New York Times
The women then returned to the lab, where researchers analyzed their form, foot-strike patterns and the force at which they hit the ground under three different running conditions — with regular running shoes, barefoot and while wearing the Vibram FiveFingers.
The researchers found that half of the women who switched to barefoot running or minimalist sports shoes failed to adjust their form, resulting in more wear and tear on their bodies, not less.
The study showed that when the women were wearing traditional running shoes, they all used a rear-foot strike, meaning they landed predominantly on their heels. But when the women switched to barefoot running or the Vibram FiveFingers, only half of them adjusted their form, as recommended, to a forefoot strike pattern, which entails landing mainly on the ball of the foot. The other half of the women kept the same form whether running barefoot, in Vibrams or in their cushy running shoes — landing first on their heels as they propelled themselves along.
Women who used the correct form experienced lower-impact forces on the foot while running barefoot or in Vibrams. But among the women who didn’t change their form and continued to land on their heels, the impact forces created by barefoot and Vibram running were nearly twice as high as in regular athletic shoes.
“People who run, they’ve run in shoes for so long, landing on their heels, that some of them are going to continue to do that,” said John P. Porcari, professor of exercise and sports science. “When you land on your feet, the force gets transmitted up the kinetic chain — to feet, to ankles, to knees, to hips, to back. That’s why runners can have injuries from their toenails to their belly button.”
Cedric Bryant, the chief science officer for the American Council on Exercise, said the study shows how important it is for new barefoot and Vibram runners to pay attention to form and slowly transition out of traditional shoes.
“Take the slow and steady approach,” he said. “Rather than going out and trying to run your typical distances at your typical speeds, give yourself ample time to adapt and adjust to this new style.”
The council recommends that runners who want to switch to barefoot or minimalist shoes begin with brisk walking. Once they start running, new barefoot and Vibram runners need to shorten their stride and focus on landing on the forefoot as opposed to the heel. Someone who has been running four or five times a week should try the minimalist shoes for only a portion of one of their runs until they adjust to the change, Dr. Bryant said.
“The key thing our study seems to suggest is that it’s really important you take some time to really adjust your running form or running style,” said Dr. Bryant.
In addition, the study found that all the runners bent less at the knee while running barefoot or in Vibrams, a change in form associated with fewer injuries. However, compared with barefoot runners, shod runners and those in Vibrams showed more pronation, which is the natural side-to-side movement of the foot during running. Excessive pronation is associated with more injuries.
While the research shows that runners who are able to change their form may benefit from going barefoot or wearing Vibrams, longtime runners who are doing fine may think twice about making the switch.
“If you’re not injured, I wouldn’t change anything,” said Dr. Porcari. “If you’re constantly getting injured, you may want to try these things. Maybe, biomechanically, shoes just aren’t for you.”

samedi 23 juillet 2011

23. Analyse d'une foulée : Yuki Kawauchi

Le jeune marathonien, Yuki Kawauchi, a fait sensation lors du dernier marathon de Tokyo en le bouclant en 2h08'37'' avec un finish époustouflant. Un vrai guerrier ! Ce coureur japonais est encore un coureur amateur, en dépit du kilométrage hebdomadaire impressionnant de ces entraînements. 

Sa foulée est très intéressante car elle illustre bien beaucoup des caractéristiques qu'on retrouve chez les meilleurs coureurs d'endurance. En voici un court extrait au ralenti pris au 39ème kilomètre du marathon de Tokyo.


On constate :
- une pose de pied très près de son centre de gravité avec une attaque du pied très peu sur le talon.
- la recherche d'amplitude se fait avant tout par le relevé du pied arrière vers la cuisse (cycle arrière typique de la course d'endurance).
- le pied ne dépasse quasiment pas l'aplomb du genou devant le coureur.
- le coureur lève peu les genoux compte tenu de sa vitesse.
- sa cadence de foulée est très soutenue (largement au dessus de 180).
- une très bonne utilisation du moteur vertébral (avec l'aide des bras légèrement ouverts).

Ce coureur montre très peu d'amplitude verticale. L'énergie de propulsion de son pied est redirigée vers l'avant grâce à ce mouvement de translation horizontale des épaules avec très peu d'oscillation verticale.



Sur la photo du dessus, les lignes symbolisent l'aplomb de la hanche par rapport à celui de l'épaule et montre la torsion de l'axe épaules-hanches à cet instant de sa foulée. Un joli moteur vertébral (spine engine / moteur vertébral pour les connaisseurs) !





mardi 5 juillet 2011

22. foulée et choix de chaussures

La comparaison de la foulée de Radcliffe et de Petrova permet de bien mettre en lumière les deux types de foulée propres à la course d'endurance.

1) la foulée rasante (ex: Petrova)

Les caractéristiques de cette foulée sont:
  • faible levée du pied vers la cuisse après l'appui;
  • recherche d'amplitude vers l'avant;
  • point d'impact du pied devant le centre de gravité;
  • attaque du talon.
C'est certainement la foulée la plus répandue parmi les coureurs de fond amateurs. C'est celle qui demande le moins d'adaptation par rapport à la marche. Elle reproduit d'ailleurs la gestuelle de la marche dans la séquence:
  • le pied décolle peu du sol,
  • lancement du pied vers l'avant (le pied passe devant l'aplomb du genou), 
  • premier contact du pied au sol par le talon, 
  • impact du pied devant le centre de gravité.
Face à une telle foulée, il est évident que le coureur va avoir besoin d'une chaussure qui puisse:
  • offrir un bon amorti du talon,
  • offrir un bon maintien du pied dans son ensemble: en effet, vous remarquerez que plus on attaque le sol avec le pied avancé, plus le pied prend une position extrême dans la supination et surtout dans la pronation. La chaussure doit donc pouvoir corriger ce défaut,
  • ne pas être forcément très légère: pour que la chaussure ait un bon amorti et un bon maintien, il faut qu'elle soit assez lourde de part sa structure et ses composants: mais compte tenu du fait que le coureur ne va pas chercher à lever très haut le pied vers la cuisse, le sur-poids de la chaussure n'est pas obligatoirement très pénalisant. Le poids n'est d'ailleurs pas un obstacle pour que le pied aille taper le sol devant le coureur au moment de l'impact. L'inertie qu'elle génère va même y aider.
2) la foulée arrière (ex: Radcliffe) :

Cette foulée est proche de la foulée en cycle arrière (telle que décrite par Volodalen par exemple).

Les caractéristiques de cette foulée sont:
  • levée importante du pied vers la cuisse après l'appui;
  • pas de recherche d'amplitude vers l'avant;
  • point d'impact du pied très près (voir sous) le centre de gravité;
  • attaque plein pied (voir sur l'avant du pied).
Ce type de foulée est beaucoup moins répandue parmi les coureurs de fond amateurs. Elle demande une vraie adaptation et un vrai conditionnement par rapport à la marche. Elle ne reproduit pas du tout la gestuelle de la marche dans la séquence: 
  • le pied décolle du sol à l'arrière,
  • pas de lancement du pied vers l'avant (le pied ne passe pas devant l'aplomb du genou ou très peu), 
  • premier contact du pied au sol par le milieu du pied (voire éventuellement l'avant du pied) 
  • impact du pied très près voire sous le centre de gravité.
Face à une telle foulée, il est évident que le coureur va avoir besoin d'une chaussure différente de celle du coureur à la foulée rasante ; cette chaussure devra :
  • être légère pour faciliter la levée du pied et éviter trop d'inertie vers l'avant qui emmènera le pied largement devant le centre de gravité du coureur,
  • avoir peu d'amorti du talon (car il ne sert pas),
  • offrir un maintien plus limité du pied dans son ensemble: en effet, dès lors que l'attaque du pied ne se fait par le talon mais par le milieu du pied, le pied prend moins une position extrême dans la supination et surtout dans la pronation. La chaussure n'a donc pas à forcément corriger ce défaut. L'aspect "supinateur" ou "pronateur" est moins important que pour la foulée rasante. Une chaussure du type universel ne devrait pas poser de problème aux coureurs qui ont cette foulée, même s'ils sont à la base pronateurs ou supinateurs. D'ailleurs l'usure des chaussures confirme cela: si votre foulée est plein pied, vous pourrez constater que même si vous êtes un fort pronateur (c'est mon cas!), l'usure au niveau du talon sera très réduite, voire inexistante: vous ne retrouverez pas les signes d'usure de vos chaussures aux mêmes endroits que ceux de vos chaussures utilisés pour une foulée rasante.
Evidemment, on peut percevoir facilement les dégâts que peut occasionner un mauvais choix de chaussures par rapport la foulée. Avoir une foulée rasante et s'acheter des chaussures minimalistes sera risqué, à moins que le choix d'une telle chaussure modifie la foulée pour la rendre plus proche d'une foulée arrière  Par opposition, avoir une foulée arrière et prendre des chaussures lourdes, à fort amorti et fort maintien, sera contre productif.

On peut évidemment avoir deux types de chaussures différentes: une pour les sorties longues et lentes, où on risque d'adopter une foulée relativement rasante et une pour les sorties plus rapides et dynamiques où on cherchera à adopter une foulée arrière plus bio-mécaniquement correcte.

Au bout du compte, type de foulée et choix de chaussures sont intimement liés. 

Il semble illusoire de penser que le simple fait de choisir une chaussure plutôt qu'une autre va naturellement modifier la foulée. Rien ne le démontre. Modifier sa foulée demande une prise de conscience et un travail particulier. Cela ne vient pas uniquement du choix de chaussures.







lundi 4 juillet 2011

21. Comparaison de la foulée de Radcliffe et de Petrova

Si on compare la foulée de Paula Radcliffe et de Petrova, on peut noter certains points intéressants:

- l'angle d'ouverture des genoux est très comparable : autour de 30° (Radcliffe) et 28° (Petrova), si on prend l'angle d'extension maximale de chaque genou par rapport au sommet du crâne :




- L'angle d'ouverture des genoux est quasiment identique mais le point d'appui du pied au sol est tout à fait différent: en effet, si l'on trace une droite passant de la tête et coupant l'angle à sa moitié (15° pour le cas de Paula), on s'aperçoit que Paula pose le pied sur cette droite au contact au sol alors que Petrova pose son pied largement devant cette ligne:



- L'angle d'ouverture des genoux est le même mais le point d'impact au sol est très différent : l'explication de cette différence est le trajet du pied: Paula lève vite le pied arrière du sol et le ramène assez haut vers la cuisse alors que Petrova garde une foulée plus rasante: son pied arrière ne dépasse pas la hauteur de son genou: si on cherche à visualiser le trajet du pied sous forme de "poulaine", on constate que la poulaine de Radcliffe est beaucoup plus verticale que celle de Petrova qui elle est plus proche de l'horizontale.




Conclusion:

- le coureur (tel Paula), qui cherche à poser son pied près de son centre de gravité, doit plus lever le pied arrière vers la fesse pour avoir une bonne longueur de foulée ;

- le coureur (tel Petrova), qui cherche une foulée rasante, va devoir poser son pied plus loin de son centre de gravité dès qu'il voudra augmenter la longueur de sa foulée.

En termes d'économie de course, la foulée de Petrova est peut être meilleure mais en termes anatomiques, il me semble que celle de Radcliffe est plus performante d'un point de vue bio-mécanique. Son attaque du talon est extrêmement réduite et son point de contact au sol plus près du centre de gravité.


samedi 22 janvier 2011

20. Peter Reid: pose du pied



Après Allen et Scott, la série des super coureurs triathlètes continue en la personne de Peter Reid, triathlète canadien (vainqueur trois fois de l'Ironman d'Hawaï avec un meilleur temps marathon de 2h46 sur cette épreuve (2004)).

Peter Reid était connu pour avoir une foulée d'apparence un peu "robotique". C'était avant tout une foulée extrêmement efficace et économique ! Sa position des bras assez basse n'est pas sans rappeler un autre très récent vainqueur d'Hawaï.

Voici juste un petit extrait vidéo de sa pose de pied: plein pied sans attaque du talon avec une arrivée très parallèle au sol et juste ce qu'il faut de dépassement du pied devant l'aplomb de la rotule :


Vitesse légèrement ralentie :


Fort ralenti :

lundi 17 janvier 2011

19. Analyse d'une foulée: Dave Scott


Dave Scott est un triathlète exceptionnel qui gagna l'Ironman d'Hawaï 6 fois (bio ICI). En dépit d'une foulée à l'apparence pas très conformiste pour le moins, il fut capable de courir sur Ironman des marathons très rapides dont le meilleur en 2h41 en 1989, la course dont les images de ce post sont extraites. (Merci au site Triclair.com d'avoir mis cette vidéo en ligne: lien ICI). Vous pouvez visionner un extrait ICI sur youtube.

A l'âge "cannonique" de 42 ans, il finit cinquième à l'Ironman d'Hawai avec un marathon en 2h45, tout cela en dépit d'une posture en course à pied que beaucoup (lui y compris) qualifie d'"horrible".

Comment avec une posture pareille a-t-il pu faire jeu égal avec Mark Allen durant les 42 kms de leur duel épique en 1989 et courir des marathons aussi rapides ? Mark Allen est lui réputé pour avoir une foulée très élégante (cf: http://leplaisirdecourir.blogspot.com/2011/01/16-analyse-dune-foulee-mark-allen.html).

En fait, à y regarder de plus près, Dave Scott avait une foulée extrêmement efficace et sans doute moins traumatisante que celle d'Allen ; cette foulée de Dave Scott n'est pas sans points communs avec des coureurs comme Craig Alexander; Paula Radcliff ou Anton Krupicka (bien qu'elle contienne sans doute certains défauts qu'ont pas les autres coureurs ceux qui rend le foulée plus fluide (je pense à Alexander en particulier).

Ainsi, les caractéristiques de la foulée de Dave Scott sont principalement:
  • une cadence élevée (environ 7 à 8% plus élevée qu'Allen) ;
  • une foulée plus courte qu'Allen (environ 7 à 8% plus courte). Durant cette fameuse course de 1989, ils vont courir côte à côte durant 40 kms, Allen ne s'échappant qu'à près de 2kms de l'arrivée environ ;
  • une pose du pied plus près du centre de gravité qu'Allen:

  • très peu de déroulé du pied: son temps de contact avec le sol est bref ;
  • une levée du pied arrière vers la cuisse importante: bien que Dave Scott ait une foulée plus courte qu'Allen, il est très intéressant de remarquer que son pied arrière remonte aussi haut que celui d'Allen ; la perte d'amplitude n'a pas lieu derrière mais uniquement devant par rapport à Allen.

  • un fémur avant qui dépasse très peu l'aplomb de la rotule: c'est durant cette phase que la foulée de Dave Scott a moins d'amplitude que celle d'Allen. Allen va plus étendre sa jambe devant lui, ce que ne fait pas Dave Scott; cela a pour conséquence qu'Allen attaque plus du talon que Scott et surtout son angle d'attaque par rapport au sol est moins ouvert et le point d'impact est plus près du centre de gravité : on retrouve cette caractéristique dans la foulée d'Alexander et de Radcliff. Il semble, d'après ces images, que Scott court avec des chaussures plus plates ayant moins d'amorti qu'Allen (courant en Nike).


  • une colonne vertébrale bien droite avec une mise en tension du dos (ses épaules sont bien en arrière) : on peut remarquer que sa nuque est plus à la verticale que celle d'Allen: Allen, devant étendre son pied devant lui du fait de sa manière de courir et de l'amplitude de sa foulée, la position globale du corps en équilibre va être très légèrement plus vers l'avant que Scott, ceci pas tant au niveau du bassin (l'angle d'ouverture est très comparable) qu'au niveau de l'alignement tête - colonne vertébrale plus droite pour Scott. Scott a tendance à regarder plus loin devant lui qu'Allen d'ailleurs, l'aplomb de son menton un peu plus en retrait par rapport à son sternum

  • Bien que sa foulée ait moins d'amplitude qu'Allen, on peut noter que l'amplitude de déplacement de leurs épaules est extrêmement comparable. L'angle d'ouverture des bras également. A priori, on aurait été tenter de penser le contraire puisque leur amplitude de foulée est différente or ce n'est pas le cas, il n'y pas de corrélation évidente chez ces deux coureurs entre l'amplitude de la foulée au sol et la translation des épaules et du buste : une interprétation possible de cela est la confirmation du rôle moteur du buste dans la foulée (cf. http://leplaisirdecourir.blogspot.com/2010/12/ou-est-le-moteur.html): ainsi, Allen et Scott utilisent autant leur "moteur" l'un que l'autre.





Conclusion:

Il y a beaucoup d'enseignements à tirer de cette comparaison de styles et la foulée de Scott, en dépit de son allure "canardesque" est extrêmement intéressante :
  • l'un semble être plus économique que l'autre (Scott au contraire d'Allen) mais les deux coureurs courent exactement à la même vitesse et Allen gagne la course au final (avec un temps marathon de 2h40): l'économie de course n'est-elle pas avant tout aussi la résultante de l'entraînement ?
  • la foulée de Scott en apparence chaotique est en fait extrêmement rationnelle et efficace, et se rapproche de la foulée du 3ème type (bien qu'à titre d'exemple, la foulée de Craig Alexander soit nettement plus parfaite je trouve).
  • bien qu'Allen et Scott aient une foulée très différente en apparence, la cause de cette différence tient à un détail: le fait pour Scott de "shinter" l'amplitude avant de sa foulée; de là découle une position légèrement plus droite, une attaque plein pied plus près du centre de gravité, un temps de contact plus court au sol.





18. Réflexions sur la position du buste


Un sujet de controverse sur une bonne posture en course à pied est la position du buste.: doit-il être légèrement penché en avant ou  bien plutôt droit ?

L'argument principal avancé par les "apôtres" du buste légèrement penché en avant est que cela permet au coureur de tirer avantage de la force de gravité. L'idée sous-jacente est qu'en fait, la course à pied consiste avant tout à tomber en avant du fait de la gravité. Personnellement, je suis d'un avis différent, en pensant que cela tient plus à sauter en avant qu'à tomber en avant.

Maintenant, faut-il vraiment chercher à courir ainsi penché en avant ? La réponse n'est pas évidente. Cependant, je vois plusieurs obstacles qui iraient plutôt à l'encontre de ce conseil. 

En effet :

- on peut constater que chez plusieurs excellents coureurs et coureuses (notamment Paula Radcliff, Craig Alexander, Haile Gebreselassie...), tous courent avec un buste droit et adoptent un alignement jambe/colonne vertébrale vraiment en arc au moment de la fin de la poussée du pied : s'ils se penchaient en avant, ils ne pourraient pas réaliser cet arc (déjà décrit dans des posts précédents) ; on peut contre-argumenter qu'ils existent d'autres très bons coureurs qui, eux, courent légèrement penchés en avant (exemples vus sur le site: Longree, Allen...) ;

- garder une certaine antéversion du bassin (cambrure) est plutôt compatible avec un buste droit qu'avec un corps penché vers l'avant ;

- un autre aspect intéressant est la corrélation entre la position du buste et l'angle d'ouverture de la cuisse ; en voici une illustration : le coureur américain Ryan Hall a une foulée très similaire à celle de Haile G., à ceci près que Haile G. se tient plus droit que Ryan :


Or, la position du buste peut avoir une conséquence directe sur l'économie de la foulée. Voici la comparaison de l'angle de levée de la cuisse de H. par rapport à celle de Ryan Hall :

Sur ce premier cliché, on peut constater que H. lève son genou de manière à former un angle de 115° avec son buste :


Sur ce second cliché, on constate que Ryan Hall lui lève son genou avec un angle légèrement plus fermé (107°). Ryan Hall ayant un buste sensiblement plus penché vers l'avant que Haile, il lui faut donc plus plié sa hanche pour amener son genou a peu près à la même hauteur que Haile (proportionnellement au reste de son corps bien sûr). 

On peut constater qu'en effet, les deux coureurs ont une hauteur de genou relativement identique (si l'on prend comme repère leur autre genou par exemple).


Maintenant, si on reprend la première image (Celle de Haile) et on superpose un angle de même grandeur (107°) que celui de Ryan Hall, on constate que le genou de Haile serait alors sensiblement plus haut. En d'autres termes, de part un buste plus redressé, Haile a besoin d'un effort musculaire de plus faible amplitude quand il lève le genou que Ryan. Cela lui demande dès lors moins d'effort que Ryan.


Les coureurs qui courent avec un buste plus droit (Gebre, Craig Alexander) gagneraient donc, à ce point de vue, en économie de course par rapport à des coureurs au buste plus penché.


On peut ajouter que le coureur d'ultradistance Krupica court lui aussi avec le buste droit (voir exemple de sa foulée sur ce blog).

Il n'est sans doute pas possible de tirer de conclusions absolues sur les bienfaits ou non d'une position plus penchée en avant, mais il n'empêche que les meilleurs coureurs sont divisés sur l'application ou non de ce principe.


vendredi 14 janvier 2011

17: Analyse d'une foulée: Paula Radcliff

La foulée de Paula Radcliff dénote largement comparée à celle de ses concurrentes. On parle souvent bien sûr de son dodelinement de la tête comme d'un défaut. Mais ce qui est plus intéressant c'est d'observer les autres éléments de sa foulée, qui font qu'elle est différente de ses concurrentes ; cela apparaît très clairement quand on compare la foulée de Paula (à l'extrême gauche sur les photos) de celles de ses 2 suiveuses, qui elles ont une foulée plus similaire (à l'exception de quelques différences que nous verrons). Ces images sont tirées du marathon de New York.

Sur les 3 premiers clichés, on voit la pose du pied: Paula a un contact au sol avec un pied quasi-parallèle au sol, comparé à ceux deux concurrentes (la brune Goucher et la blonde Petrova) qui toutes deux ont un pied qui attaque plus avec le talon, leur pied étant alors nettement moins parallèle au sol : on peut remarquer qu'au moment de l'impact, la jambe de Paula est plus plié que celle de ses concurrentes : leur tibia est perpendiculaire au sol alors que celui de Paula ne l'est pas.






Concernant le trajet arrière du pied, on voit que Paula lève le pied plus haut vers la cuisse que ses concurrentes. L'intérêt d'un pied placé plus haut au moment de retour de l'arrière vers l'avant est l'énergie que cela induit et qui va ainsi permettre au genou d'aller plus haut avec moins d'effort.

D'ailleurs, s'agissant de la levée du genou, Paula et Goucher, sa concurrente brune, lèvent plus le genou que Petrova, la concurrente blonde, cette dernière ayant une foulée plus rasante : la concurrente brune lève le genou haut en grande partie pour compenser son buste plus penché en avant que Paula et la concurrente blonde qui toutes les deux gardent le buste plutôt droit :


On voit bien sur la photo ci-dessus la différence de hauteur de levée du genou des différentes coureuses ; la concurrente blonde lève peu le genou, la concurrente brune lève son genou à peu près à la même hauteur que celui de Paula mais plus rapidement :



Sur les deux photos suivantes, la différence de placement de la jambe est vraiment frappante entre Paula et ses deux concurrentes: alors que le pied des deux autres concurrentes est déjà passé à l'aplomb du genou avant, Paula a encore son pied très en arrière de son genou : on a clairement l'impression que l'amplitude de la foulée de Paula vient de l'avancée de son bassin et de son genou, alors que l'amplitude de la foulée de ses concurrentes vient avant tout de l'avancée du pied.  Ce mouvement d'avancée du pied de Goucher et Petrova sollicite les muscles du dessus de la cuisse. Paula n'a pas effectué cet effort et mobilise moins ses muscles du dessus de la cuisse. En revanche, le mouvement de Paula sollicite plus les muscles du buste notamment autour de la ceinture abdominale. Les jambes de Paula lui servent avant tout de support à moment de la phase de soutien alors que dans le cas de ses deux concurrentes elles doivent solliciter leurs cuisses et les muscles du dessus du mollet pour allonger leur foulée. L'avis de plusieurs médecins est que cette manière de solliciter les muscles de la jambe (en contraction sur le devant de la jambe) qui a tendance à aller de pair avec l'attaque du talon peut être une réelle source de blessures.

On peut remarquer qu'en dépit d'un trajet du genou différent, la concurrente blonde et la concurrente brune se retrouvent dans une position relativement similaire :



Sur le cliché suivant qui montre la phase précédent le contact au sol, on peut remarquer une différence importante : alors que le pied de Paula ne va presque pas dépasser l'aplomb de la pointe de son genou, le pied avant de ses deux concurrentes est clairement devant l'aplomb de la pointe de leur genou. Craig Alexander a, dans sa foulée, cette même caractéristique que celle de Paula: le pied ne passe devant l'aplomb de la pointe du genou :


La conséquence de cette différence de placement du pied par rapport au genou est principalement la différence d'angle d'attaque du pied au sol tel qu'expliqué au début de ce post : on voit bien sur la photo suivante que la concurrente blonde a un pied pointé vers le haut au moment de l'impact; on voit également que le point d'impact est plus loin du centre de gravité que pour Paula (et qui frôle l'"overstriding") :