dimanche 27 novembre 2016

108. Les gains biomécaniques de la foulée médio-pied en triathlon

L'observateur suffisamment attentif du triathlon longue distance (Ironman et autres...) a dû se rendre compte, au fil des années, que les triathlètes élites sont de plus en plus nombreux à parfaire leur technique en course à pied et en particulier à adopter une foulée non plus de talonneur, mais plutôt une foulée médio-pied (ou à dominante médio-pied) : est-ce un effet de mode ou bien cela correspond-t-il à une réelle optimisation de la foulée bénéfique sur triathlon ? C'est la question à laquelle cet article va tenter de répondre.

un exemple fameux d'athlète qui a modifié sa technique de foulée en passant au triathlon
1. Que faut-il entendre par foulée médio-pied ou à dominante médio-pied ?

Tout d'abord, il faut oublier certains clichés qui confondent foulée médio-pied et minimalisme, voire course pieds nus (barefoot). C'est confondre la technique de la foulée et la manière de pratiquer la course à pied. Jusqu'à aujourd'hui, on n'a pas encore vu beaucoup de coureurs minimalistes en triathlon (mis à part le coup de poker de David Hauss pieds nus pour emporter brillamment le championnat d’Europe de triathlon courte distance).


Source: trimag
La foulée médio-pied ou à dominante médio-pied correspond avant tout à un geste technique qui consiste, non pas à jeter son pied vers l'avant mais beaucoup plus à projeter son pied vers l'arrière. 

Dans ce geste, le coureur va vouloir ramener son pied devant lui en pliant son genou aérien de manière continue (contraction des ischios-jambiers) jusqu'à ce que son pied aérien croise sa jambe d'appui. L'opposé de ce geste est la foulée du talonneur qui, lui, déplie son genou aérien tout au long du retour de son pied vers l'avant (contraction des quadriceps).

L'important est de saisir que c'est ce geste qui est le facteur déterminant de cette foulée, beaucoup plus que la partie précise du pied qui touche le sol en premier. D'ailleurs, suivant le type de chaussure portée et plus spécifiquement le drop de la chaussure, il se peut tout à fait qu'avec un tel geste de flexion continue du genou aérien, le coureur vienne tout de même poser son talon en premier. Cela n'a pas une importance fondamentale dans la mesure où la pose de pied remplit d'autres critères que je vais expliquer.

2. les enjeux biomécaniques de la foulée pour le triathlète

Par rapport au pur coureur à pied, le triathlète doit faire face à une difficulté particulière liée à la fatigue engendrée par le vélo, en particulier sur ses membres  inférieurs.

Le vélo sollicite en effet énormément les muscles quadriceps, qui fournissent la plus grande partie de la puissance à vélo.

Malheureusement, les quadriceps sont aussi des muscles très sollicités par la course à pied car ils jouent un rôle fondamental dans la phase d'amortissement et de soutien (comme l'illustration ci-dessous le montre succinctement:

En rouge, les muscles de la jambe sollicités durant un cycle de foulée
Ce niveau de sollicitation va augmenter plus le coureur posera son pied devant son bassin : en effet, durant la phase d'amortissement, tant que le pied n'est pas passé sous le bassin, le quadriceps doit fournir un effort important.

Du côté de la jambe aérienne, le quadriceps va plus travailler si durant la phase de propulsion le coureur produit un geste de lancer du pied vers l'avant (typique d'une foulée de talonneur) en dépliant son genou vers l'avant rapidement après le contact au sol.

On voit dès lors que le coureur talonneur aura tendance à créer un cercle biomécanique vicieux aboutissant à une sollicitation accrue des quadriceps tant de la jambe d'appui que de la jambe aérienne et même plus globalement de la jambe de son entier.

3. L'avantage biomécanique de la foulée médio-pied pour le triathlète:

En modifiant sa technique de foulée, le triathlète va pouvoir mieux répartir l'effort sur l'ensemble de sa jambe et même dans une large mesure réduire l'effort fournie par ses jambes en mobilisant le haut de son corps et en réduisant le force de freinage.

 
Les composants dynamiques de la foulée LFR

Plusieurs mécanismes et séries d'actions-réactions vont se mettre en place, de manière vertueuse, pour le triathlète coureur médio-pied : par exemple:

- une pose de pied le plus à plat possible réduit les forces de freinage ;
- une pose de pied proche du bassin facilite la remontée du pied en tirant partie de la force de renvoi au sol ;
- une phase d'amortissement avec la jambe fléchie et le pied près du bassin répartit mieux l'effort sur les différentes parties de la jambe ;
- une flexion du genou vers l'avant augmente le travail des ischio-jambiers tout en reposant le quadriceps ;
- une cadence soutenue réduit l'oscillation verticale (et par conséquent le travail des quadriceps et de la jambe lors de l'amortissement) ;
- un mouvement de lancée de la jambe vers l'arrière permet d'utiliser les fessiers, les abdominaux, le tronc et les bras en contre-partie de moins d'efforts demandés aux jambes ;
- une pose médio-pied réduit la vitesse verticale d'impact, ce qui engendre moins de fatigue liée aux impacts.

Une fois cette technique maîtrisée, les gains peuvent être substantiels, voire très substantiels. Lors du dernier atelier organisé par le LFR, un triathlète expliquait avoir gagné 14' sur son dernier triathlon courte distance. A cela, il faut ajouter que tous les conseils de mise en place de cette foulée relève aussi de bonnes pratiques en course à pied et ont pour conséquence, normalement, de réduire les traumatismes générés par la course à pied : des éléments tels que la cadence, une pose de pied horizontale avec le sol, près du bassin, une meilleure posture constituent autant de bonnes pratiques biomécaniques dont les coureurs tireront partie à court et évidemment à long terme.

Pour les triathlètes qui souhaitent commencer ou parfaire leur transition vers une foulée médio-pied, vous trouverez tous les conseils pour la réussir dans le livre "Courir Léger - Light Feet Running" (disponible sur les sites de vente en ligne et dans les grandes librairies (ou sur commande auprès de votre libraire).

Happy LFR !




jeudi 17 novembre 2016

107. Test de capteurs biomécaniques : Le Runscribe

Plusieurs objets connectés sont en train d'arriver sur le marché qui fournissent des systèmes de mesure biomécanique de plus en plus complexe.

J'ai pu en acheter et tester récemment trois : le Runscribe (dernière génération), le Zoi Run et le Milestone Pod (première génération) dont je vais faire un compte-rendu dans trois articles.


Voici le premier test :

Le Runscribe :

Il s'agit du système le plus onéreux (environ 250 USD). Il est composé de deux capteurs au poids négligeable qui se fixent soit sur les lacets, soit à l'arrière de chaque chaussure. Fixés sur les lacets, les capteurs tiennent parfaitement (sans risque de les perdre).
 
les capteurs (pod) placés sur les lacets

Ils se mettent en marche automatiquement dès que vous courez. Il vous suffit, après avoir couru, de récupérer les données enregistrées par l'intermédiaire de votre smartphone ou tablette (via bluetooth).

Vous pouvez assigner une couleur spécifique à chaque pod (témoin lumineux) ce qui vous permet de savoir très facilement lequel correspond à quel pied (par exemple: vert pour le pied gauche et bleu pour le pied droit). Vous avez un choix de quatre couleurs différentes pour cela.

Après 1 mois d'utilisation, j'ai constaté que le système fonctionne très bien : je n'ai noté aucun problème de connexion. Les batteries tiennent très bien la charge (tenant facilement plusieurs sorties). les capteurs sont facilement et rapidement rechargeables grâce à un accessoire vendu avec le dispositif qui se connecte sur le port USB d'un ordinateur.

Il est très facile de passer les capteurs d'une paire à chaussure à une autre.

Le transfert des données se fait très facilement après chaque sortie : le transfert n'est pas extrêmement rapide (plusieurs minutes parfois, certainement dû au volume des données transférées) et varie donc suivant la longueur de la sortie.

Les données enregistrées sont principalement :
- la cadence,
- la durée,
- la distance, (à noter qu'elle est très fiable),
- la pose de pied (avant pied / médio-pied / talon),
- le temps de contact du pied au sol,
- la symétrie de la foulée,
- les chocs par 3 données: une mesure globale des chocs, une mesure de la force d'impact, une mesure de la force de freinage;
- la pronation : angle de pronation et vitesse maximale de pronation;
- un indicateur global d'efficacité de course (3 niveaux : low / medium / high)
- un indicateur global d'absorption des chocs (3 niveaux : low / medium / high)

L'ergonomie et le look de la présentation des indicateurs est plutôt bien faite (voir photo): sur le smartphone, les données sont plus succinctes que celles affichées sur l'ordinateur. Par l’intermédiaire du site runscribe, vous avez accès à toutes vos données. Pour le moment, ces données ne sont pas exportables et c'est fort dommage: une exportation via Excel par exemple permettrait de réaliser facilement des tableaux de synthèse qui seraient fort utiles. Il serait aussi intéressant de pouvoir importer les données dans d'autres logiciels du type carnet d'entraînement.



On peut noter les points ergonomiques suivants que je trouve très positifs :
- le fait d'avoir les informations pour chaque pied (ce qui n'est pas le cas du Zoi Run et du Milestone);
- la possibilité de visualiser les indicateurs par des courbes ;
- la possibilité de superposer les courbes ;
- la possibilité de comparer plusieurs sorties ;
- la possibilité de classer les sorties suivant la chaussure utilisée, le type de sortie et le type de terrain : ainsi, il est facile de comparer sur plusieurs sorties la conséquence d'un type de chaussure par rapport à un autre sur votre foulée (plus de pronation...changement de pose de pied...asymétrie) ;
- la possibilité d'enregistrer les blessures ressenties à chaque sortie ;
- la faculté de renseigner chaque sortie en y insérant un titre et des commentaires longs (par exemple décrivant votre ressenti, votre technique....) : c'est très pratique quand on veut s'y retrouver dans l'historique des sorties.

Le produit est donc bien abouti et sa qualité de fabrication très bonne (c'est déjà la seconde génération du produit).

Le produit n'enregistre toutefois pas quatre indicateurs biomécaniques qui sont intéressants pour le coureur :
- la puissance (pour le moment, il semble que seul Stryd le permette)(*) ;
- l'oscillation verticale ;
- l'oscillation horizontale ;
- l'oscillation latérale.

Les points plus négatifs :

Je ne peux pas vous cacher que je suis assez désappointé par ce produit après plusieurs semaines d'utilisation car au première abord, il semblait être le plus abouti des trois testés.

En effet :

- le niveau d'exactitude de la mesure des chocs semble un peu laisser à désirer : le fabricant ne donne pas d'informations pertinentes à ce sujet mais, d'après les informations que j'ai pu lire, la marge d'erreur serait de plus de 20% voire même 25% entre les mesures de Runscribe et les mesures enregistrées en labos sur un vrai tapis de course à enregistreur de chocs (je mets l'information au conditionnel et si des lecteurs ont des infos sur le sujet qu'ils n'hésitent pas à commenter). On peut objecter que peu importe la valeur absolue, ce qui est important est l'évolution de cette valeur pour un même coureur. Ainsi le coureur peut suivre ses progrès au fur et à mesure de ses sorties. L'argument semble recevable dans une certaine limite car il faut tout de même de les indicateurs soient fiables. En plus, les unités affichées n'ont pas de rapport en tant que tel avec la réalité : les chocs verticaux s'affichent en G (mais il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'on pourrait penser, d'une unité correspondant au poids du corps) car avec Runscribe un score bas en terme d'impact se situe autour de 7 à 8G (alors que jamais un coureur n'encaisse 7 à 8 fois le poids de son corps en courant). Il serait plus parlant pour le coureur d'avoir une mesure correspondant plus à la réalité.

- les courbes affichées sont frustrantes car elles ne semblent pas corroborées les données enregistrées: ainsi, si vous visualisez la courbe de vitesse pour une sortie, elle n'atteint jamais la vitesse maximum indiquée ce qui semble plutôt incompréhensible.

- les comparaisons entre les sorties se font au travers de l'affichage de courbe : il serait utile de pouvoir aussi le faire en affichant les moyennes enregistrées par exemple plutôt que des courbes.

- la fiabilité des données de pose de pied et d'impact me semblent très discutables : pour avoir tester les capteurs, avec différentes foulées et avec différentes chaussures, il n'est vraiment pas aisé de trouver une réelle cohérence entre les données d'une chaussure à l'autre.  On a beau se creuser la tête et analyser les courbes : il est difficile d'en tirer des conclusions réellement utiles au delà d'une conclusion assez brute : à ce titre, les mesures de Runscribe confirment que plus la chaussure est minimaliste et moins la force d'impact est élevée.  Cette difficulté de finesse d'analyse ne vient pas tant des capteurs que de la présentation des données qui sont franchement très (trop?) brutes. Si ce type de produit veut s'adresser au grand public, il serait nécessaire de repenser et réorganiser la présentation des données pour les simplifier et les préanalyser (à l'exemple par exemple du Zoi Run ou du Milestone Pod).

- les indices de comparaison (efficacité et choc) semblent trop basiques et se basent sur les indices enregistrées par la communauté globale des coureurs utilisant Runscribe: le concept semble très intéressant en soi mais au final, il aboutit à des conclusions basiques ; par exemple, l'efficacité de la foulée est basée sur la vitesse avant tout ; par exemple, si vous avez une efficacité moyenne lors d'une sortie, si vous ajoutez de la distance à votre sortie (ce qui est possible et très utile pour ajuster le Runscribe à votre montre GPS), l'indice d'efficacité fait immédiatement un bond. Cela semble un peu trop simpliste. Il serait intéressant, à mon avis, par exemple, d'affiner ces indices pour tenir compte par exemple d'autres données, par exemple, du poids et de l'âge du coureur ou encore mieux de son type de foulée.

Ma conclusion personnelle :

Runscribe est un produit intéressant et indéniablement bien fait tant en termes de hardware que de software et d'ergonomie, mais qui, à mon avis, est trop complexe à utiliser pour un coureur récréatif et qui se positionne relativement cher, manque d'un traitement des données rendant les indicateurs plus conviviaux et réellement pertinents.

Il existe d'autres produits qui me semblent ainsi plus accessibles au commun des coureurs avec des indicateurs plus utiles et plus faciles d'accès et qui sont moins chers (voir les tests du Zoi Run et du Milestone Pod à suivre).

Runscribe est-il un produit utile aux entraîneurs ou aux praticiens de la santé (médecins du sport, kinés, podologues, etc.) ? L'immense avantage de Runscribe est de permettre des mesures biomécaniques semble-t-il pointues en condition naturelle et donc en dehors d'un tapis de course, lieu habituel de mesures par ces praticiens.

Runscribe permet de comparer aussi les coureurs entre eux, ce qui peut être intéressant pour un entraîneur. Il permet aussi d'avoir un feed-back sur l'évolution d'un coureur au fil de ses sorties mais il faut pour cela avoir des connaissances d'analyse plutôt fines.

Pour les podologues, il se peut que les indices de pronation soient utiles pour comparer par exemple les conséquences de tel ou tel modèle de chaussures ou de semelles en conditions réelles. A priori, les podologues possèdent déjà des outils de mesure dans leur cabinet. L'intérêt est de voir l'évolution de ces paramètres en conditions réelles sur plusieurs sorties.Un coureur n'a pas forcément la même pose de pied sur un tapis roulant en cabinet et après avoir couru plusieurs heures sur différents terrains. Le suivi des courbes permet donc de voir l'évolution de ces paramètres dans les conditions réelles de course ou d'entraînement et l'influence de la fatigue sur la détérioration de la pose de pied (là encore, si des podologues ont un avis sur la question, qu'ils n'hésitent pas à commenter).

Pour ceux qui l'ont acheté, il faut garder espoir que Runscribe fasse évoluer son logiciel dans le futur pour rendre ce produit plus utile qu'aujourd'hui et accessible à un plus grand nombre de coureurs.

Runscribe a décidé récemment de mettre en vente le module seul pour permettre à des sociétés de s'en servir pour développer des applications (sportives notamment). Nous verrons ce que cela donne, notamment en running.

(*) Concernant la puissance, on attend les semelles Tiemppo que devrait sortir prochainement la start-up française Feetme et qui devraient intégrer un capteur de puissance très précis et bien supérieur au Stryd (aux dires de ses dirigeants).