Voici une vidéo de Kilian Jornet prise durant le dernier mile d'une course de 165kms qu'il a gagnée en juin dernier: la 2011 "Western States Endurance 100 Mile".
La vidéo est intéressante à plusieurs titres:
- elle montre la technique de Jornet après 163kms d'effort, autant dire en état d'épuisement avancé, même pour lui j'imagine;
- Grégory Vollet (voir les commentaires de ce post) l'accompagne tout au long de la vidéo en courant à ses côtés à exactement la même allure, ce qui permet une certaine comparaison des styles de course. En plus, ce coureur n'étant pas un concurrent de la course, il ne souffre évidemment pas du même degré de fatigue physique que Kilian. On remarque sur les photos que Grégory Vollet court avec une perche dans les mains, les épaules presque immobiles pour maintenir la perche en position, ce qui altère sa foulée (et explique une partie de mes commentaires à son sujet dans ce post).
On peut isoler plus points illustrant l'économie de la foulée de Kilian:
A) l'attaque du pied au sol:
A première vue, les deux coureurs attaquent du talon. Mais en y regardant de plus près, on peut observer quelques différences fondamentales qui démontrent la supériorité technique de la foulée de Kilian par rapport à celle de l'autre coureur.
L'attaque du pied de Kilian est très légèrement sur le talon mais il passe très vite sur une pose plein pied.
Vollet lui attaque le sol avec la jambe tendue et surtout le pied à 90° par rapport au sol. Cette manière de faire est très habituelle chez beaucoup de (mauvais) coureurs; elle pose deux problèmes: le coureur doit redresser son pied (ce qui sollicite les muscles placés sur le devant du fémur); il en résulte un effort inutile et une sursollicitation de ces muscles qui compte tenu du nombre de foulées réalisées sur une telle course de 165kms peut franchement être dommageable pour le coureur. Par ailleurs, la jambe ainsi tendue couplée à ce pied à 90° fait que la force de d'impact du talon va vraiment se propager par onde de choc tout au travers de la jambe et seul l'amorti de la chaussure va pouvoir l'atténuer réellement. Là encore, sur longue distance, c'est désastreux.
Kilian, au contraire, a le pied beaucoup plus parallèle au sol au moment de l'impact. Cela lui évite la sur-sollicitation des muscles placés à l'avant du fémur et cela lui permet de limiter la force d'impact en faisant en sorte que son pied passe très rapidement de l'attaque talon à la position horizontale sur le sol.
Autre point: la jambe de Kilian est légèrement pliée au moment de l'impact; elle va donc pouvoir servir d'amortisseur d'une manière beaucoup plus efficace que si elle était plus tendue à ce moment là comme pour le coureur inconnu.
2) la pose du pied
Exactement dans le même esprit que la phase précédente, Kilian semble avoir un léger "overstriding": l'overstriding est le fait pour le coureur d'aller chercher l'impact au sol devant l'aplomb de son genou . C'est couramment identifié comme étant une source possible de blessures pour les coureurs.
En fait, il faut certainement temporiser cette affirmation. En effet, lorsqu'on observe la foulée de Kilian, on s'aperçoit que l'overstriding est très réduit: le pied est tout à fait dans une phase de déplacement de l'avant vers l'arrière au moment du contact au sol. Et le point d'impact est finalement assez proche du centre de gravité du coureur.
En fait, il faut certainement temporiser cette affirmation. En effet, lorsqu'on observe la foulée de Kilian, on s'aperçoit que l'overstriding est très réduit: le pied est tout à fait dans une phase de déplacement de l'avant vers l'arrière au moment du contact au sol. Et le point d'impact est finalement assez proche du centre de gravité du coureur.
Vollet a un overstriding plus marqué et son point d'appui au sol est plus éloigné de son centre de gravité que dans le cas de Kilian ; le fait qu'il tienne cette perche contraint probablement sa foulée à cet instant.
3) le positionnement global du coureur:
Les deux coureurs ont un angle d'ouverture de jambes assez proche. Il est remarquable de noter le très bon alignement du corps de Kilian, légèrement penché vers l'avant, lors de la phase de levée du genou. C'est remarquable surtout à un stade si avancé d'une course si longue compte tenu de toute la fatigue accumulée.
4) le rôle des épaules et du bassin:
Kilian utilise beaucoup la translation des épaules: sa ligne d'épaule ne reste pas fixe, bien au contraire. On voit comment il amène alternativement ses épaules vers l'avant et vers l'arrière alors que les bras jouent un rôle réduit. A ce titre, on voit que ses mains restent presque à la même hauteur, ce qui tend à confirmer qu'il sollicite peu ses jambes car il y a une corrélation entre le mouvement de balancier des bras sur un plan vertical et la sollicitation des jambes. C'est d'ailleurs une caractéristique de la technique en sprint où les bras sont extrêmement sollicités en symbiose avec la puissance des jambes. Sur des épreuves d'endurance et évidemment d'ultra-endurance, c'est évidemment différent et on peut observer chez beaucoup des meilleurs coureurs d'endurance et d'ultra et de triathlon longue distance (Krupicka, Craig Alexander ou Chrissie Wellington), cette manière de garder les mains sur presque le même plan horizontal tout en bougeant beaucoup la ligne des épaules en translation horizontale. J'en reparlerai certainement sur ce blog. Pour moi, c'est l'indicateur d'un type de course à pied moins sollicitant pour les jambes et utilisant plus la chaîne supérieure (bassin/abdos/tronc) comme moteur. Ceci confirme aussi que beaucoup des analyses techniques de la course à pied valables pour certaines allures (sprint ou demi-fond par exemple) perdent de leur pertinence dans les épreuves d'endurance ou d'ultra.