Pour se sensibiliser à la biomécanique, il est intéressant de mettre en perspective notre pratique actuelle de la course à pied avec l'évolution.
I) l'apparition de la course à pied
Après avoir maîtrisé la bipédie, nos ancêtres ont développé une faculté
supplémentaire: la course. Cette faculté est très certainement apparue
par le biais d'un processus de sélection naturelle. Ce sont ceux qui
arrivaient à s'enfuir et qui n'étaient pas dévorés par les prédateurs
qui, à force, ont du se reproduire plus que les autres pour finalement
arriver à un bipède qui a réussi à courir sur ses deux jambes (faculté
qu'aucun autre primate n'est capable de réaliser).
Ces bipèdes
qui arrivaient à courir n'avaient pas réussi à le faire en développant
une capacité à se recevoir sur leurs talons ou bien à lancer leur jambe
loin devant eux. Non, au contraire, la particularité biomécanique
majeure qu'ils avaient développée était des muscles
fessiers beaucoup plus courts et puissants que chez les autres primates,
qui allaient de pair avec une modification de la forme des os du bassin
et une modification de l'anatomie du pied.
(source: http://www.hominides.com)
Grâce à cela, ce
bipède, qui est notre ancêtre, a réussi à courir vite et à s'enfuir face
aux prédateurs du fait en grande partie du mouvement de basculement de
la jambe grâce à ce muscle fessier dont la fonction est
d'étendre la jambe vers l'arrière (surtout pas vers l'avant).
A cela s'ajoutaient d'autres caractéristiques anatomiques particulièrement intéressantes pour la course à pied:
- la capacité d’emmagasiner une grande quantité d'énergie élastique dans le bas de la jambe et le pied.
- la forme du pied qui s'élargit sur l'avant (et donc sur la partie la plus distante de l'axe de la cheville).
- les caractéristiques de souplesse et d'adaptation de l'avant-pied
avec le sol, limitant certainement le risque de foulure qui était
certainement quasiment toujours fatal pour ces primates.
II) Une pratique extrêmement récente pour l'homme occidental moderne
Des millénaires s'écoulèrent et durant les siècles récents, les
occidentaux ont totalement délaissé la course à pied. La pratique de la
course à pied était réservée aux jeunes enfants (dans le domaine du jeu
évidemment) et à quelque activité très ciblée (la guerre, voire
éventuellement un peu la chasse, très vraisemblablement avant tout) et
c'était tout.
Ce n'est que très récemment que les occidentaux se
sont remis à courir à l'âge adulte. Ce mouvement date de quelques
dizaines d'années. La pratique de l'athlétisme s'est développée
doucement tout au long du 20ème siècle mais c'est tout récemment avec la
mode du "jogging" que les occidentaux se sont réellement remis à courir
en masse. Avant les années 80, personne dans les pays occidentaux développés ne courait sauf quelques
passionnés d'athlétisme.
Durant tous ces derniers siècles,
l'homme occidental a développé avant tout ses talents de marcheur et
certainement pas ses talents de coureur: le fait de courir vite n'était
certainement pas un critère de sélection naturelle: être un bon cavalier
l'était certainement plus. Sans parler des femmes qui, elles, étaient
quasi-totalement exclues de la pratique de la course à pied: c'est tout
juste si nos grand-mères pratiquaient un peu la course en cours
d'éducation physique. Ça n'allait certainement pas au delà.
De
plus, depuis des millénaires, l'homme occidental a développé une
morphologie pénalisante pour la course à pied par rapport à d'autres
populations comme par exemple dans certaine partie de l'Afrique : le
fait d'être grand, d'avoir le bas des cuisses musclées, des mollets
larges, des muscles fessiers peu développés et aussi une capacité accrue
à stocker les graisses pas seulement dans la partie abdominale mais
aussi sur les bras et les jambes pour se protéger du froid (c'est une
constatation d'ordre général; il existe bien entendu des exceptions).
Ce constat étant dressé, il était en fait tout à fait improbable que
l'homme moderne se passionne pour la pratique de la course à pied. Il a
réussi à le faire grâce à une innovation technologique majeure: la
chaussure de course conçue par Nike dans les années 70 qui avait la
particularité d'avoir un dispositif d'amortissement sous le talon. Cela a
permis à l'adulte occidental moderne de se mettre courir sans pour
autant devenir un réel coureur; grâce à de telles chaussures, il lui a
été possible de se mettre à courir en utilisant beaucoup plus les
caractéristiques du marcheur que du coureur. Par exemple, en se
réceptionnant sur le talon, en lançant sa jambe vers l'avant, chose pour
lesquelles notre corps n'est pas conçu pour courir.
C'est
peut être la première fois dans l'évolution humaine où la technologie a
permis à l'homme de pratiquer une activité d'une manière dont il n'est
pas conçu pour. C'est tout à fait remarquable et exceptionnel. C'est un
peu comme si l'homme avait su voler durant une période de son évolution
et qu'à force de ne plus le faire, il avait perdu cette capacité et que
plutôt que de réapprendre à voler, il avait créer l'avion pour cela.
Le problème est que cette technologie de la chaussure n'est pas encore
arrivée à un stade satisfaisant en termes de performance et
de blessures : d'abord, on constate que cette manière de courir amène
encore à un taux de blessures extrêmement élevé (la course à pied est
probablement le sport où l'on se blesse le plus, heureusement de manière
souvent bénigne ; mais plus de la moitié des coureurs se blessent
chaque année). On constate aussi que les coureurs les plus rapides
délaissent cette biomécanique de la marche pour adopter une vraie
biomécanique de course, qui elle met en valeur les réelles qualités de
coureur liées à nos particularités anatomiques (fessiers, forme du pied, etc.).
III) La foulée médio-pied, un chef d’œuvre en péril ?
On peut très franchement se poser la question: que se passerait-il si
la technologie des chaussures devenait suffisamment évoluée pour qu'un
homme arrive à courir plus vite et se blessant pas ou très peu avec une
biomécanique de marcheur ? Ne serait-ce pas là la mise à mort définitive
de l'utilisation de nos capacités anatomiques et biomécaniques de
coureur, et à terme, la disparition même de ces capacités de génération
en génération. Une chaussure telle que l'ENKO s'inscrit totalement dans
cette démarche(*).
L’appétence de l'être humain pour externaliser
ses fonctions combinée à sa paresse naturelle et à la force du consumérisme
feront très certainement que dès qu'une chaussure réellement
performante sera mise sur le marché, les coureurs l'adopteront
immédiatement. Quel coureur dirait non à une chaussure qui
lui permettra de battre son record personnel sans se blesser même si
cela implique une manière de courir qui est contraire à l'aboutissement
de millions d'années d'évolution ? Certainement une infime minorité de
coureurs.
La foulée médio-pied a donc du souci à se faire: elle
ne tient qu'à un fil : le fait que les technologies développées par les
fabricants de chaussure de course à pied soient encore trop imparfaites.
Maintenant, d'un point de vue philosophique, on pourra trouver
évidemment regrettable que la technologie fasse disparaître une si belle
qualité chez l'homme, fruit de millions d'années d'évolution, qui fait
partie de notre patrimoine génétique et de notre spécificité par rapport
aux autres primates. Et puis on peut espérer qu'il existera toujours
quelques irréductibles qui préféreront toujours apprendre à courir.
L'avenir nous dira si la foulée médio-pied n'est plus qu'un chef d'oeuvre en péril.
(*) je cite cette chaussure à titre d'exemple sans porter aucun jugement sur son efficacité
(*) je cite cette chaussure à titre d'exemple sans porter aucun jugement sur son efficacité